Poésies – Adrian Suciu

Tendres vautours
 
Un mec avait un amour et le tenait caché.
Le vêtait, le nourrissait, le rassurait
et le tenait caché. Un jour, l’hiver se fit
et le mec oublia son amour caché.
Lorsqu’il se souvint, vite il accourût
mais il avait gelé des tendres vautours volaient autour.
Seulement
ses lèvres étaient encore chaudes et il murmura :
 
« Celui qui caressa tendrement la joue du mort
sait que le toucher ne ressemble à rien. Ni à la glace,
ni à la soie, ni au sable. »
*
 
Ceux qui pleurent dedans
 
Assis par deux, par trois, autour d’une table noire.
Rageusement frappent à la porte ceux qui veulent nous plaindre. Encore un qui
se met debout, comme d’une vie lointaine et
écrit sur la porte d’un doigt fraîchement tranché :
Ne savez-vous pas que ceux qui pleurent dedans se connaissent
entre eux, même s’ils se voient peu ou pas du tout ? Et
nous préparons des tables et parsemons dessus les photos des nôtres.
 
Les enfants dépareillés sortent des photos. Sortent deux oiseaux
qui remplissent la pièce. Sortent nos mères en brillant
comme un collier de soleils mais ne nous aveuglent autant pour ne pas voir
la nuit.
*
 
Des photos de la fin du monde
 
Rien ne naît dans la chair,
même si des yeux affaiblis voient autrement. Celui qui
pleurera se réjouira de ses pleurs
et un dompteur d’oiseaux deviendra. Mais celui qui
rit n’en prendra avantage de son rire, car rien
ne naît dans la joie, même si les petits
lui courent après toute une journée !
 
Le temps de la servitude un printemps est pour les âmes
de ceux qui en ont !
 
Rien ne bouge dans la chair. Ni le ver aveugle
ne bouge dans la chair, même si des yeux affaiblis
voient autrement.
 
Nous ne sommes point dans la chair. Si nous y serions,
l’amour du Seigneur nous finirait comme un feu vif
de sarments et rien n’y resterait
et l’amour du Seigneur errerait seul dans les rues
comme une soif insoutenable cherchant quelqu’un !
 
Ni la fin du monde ne vient dans la chair, même si
des yeux affaiblis voient des éboueurs qui en jettent
dans les rues des poubelles de narcisses empestant
la glaise. Beaucoup ne le savent, mais
la fin du monde y eût lieu déjà quelques fois.
 
Moi-même j’en ai pris plusieurs photos.
*
 
A travers les tempes de la fourmi
 
Une barre en fer rouillé, grosse comme le bras d’enfant.
Avec moult application, on y engrave une clairière
remplie de fleurs, de sources et toutes sortes d’insectes
heureux. Puis on prend un bout de barre en fer rouillé,
on le passe à la tour en l’aiguisant tel que
la plus aiguisée des aiguilles dans la boite à Mémé.
 
C’est comme transpercer les tempes d’une fourmi avec
c’est la mort. Tu te demandes là : diantre était-elle nécessaire
une telle préparation ?
*
Compote de coings
 
Si le poète t’appelle boire toute une nuit avec lui
de la vodka bon marché et se plaint de tout et toute
la nuit baratine de rien
et toi restes avec lui à écouter toute la nuit de ses riens, il faut savoir
que t’as ta place aux cieux, ton nom gravé dessus !
 
Si ce poète est un raté, si même ses enfants ne l’aiment pas
et toi seulement t’écoutes, nuit entière ces riens,
alors ta place aux cieux, ton nom gravé dessus,
elle est deux fois plus large et de velours vêtue !
 
Et si tu honores la table des riens d’une nuit avec un bon vin
et un cierge, ta place aux cieux, avec ton nom gravé dessus,
se mue en chambrette aux draps tout propres, avec vue sur la mer
et des vifs géraniums partout.
 
Et Dieu viendra le matin chez toi avec un p’tit bol en argent dans la main.
« Je suis la Parole, je vous l’ai déjà dit. Et : Toi tiens tes mots cachés
et va sceller le Livre jusqu’à la fin des temps. Et : Ces mots,
qu’aujourd’hui je te dis, garde-les dans ton cœur et dans ton âme. Et encore :
Celui qui n’écoutera Mes mots, à celui-là je lui demanderai des comptes.
Rien de tout cela vous n’avez compris mais toi, puisque tu as compris juste un bout d’ongle,
t’as de la compote de coings faite par mes mains.
Bon
appétit et que bonne soit ta matinée !
 
Sache-le : en chaque poète minuscule qui toute une nuit baratine
des riens il y a Dieu aux aguets, prêt de te tendre
un p’tit bol avec de la compote de coings faite par Lui-même, dans les vergers du ciel,
où la tristesse ne sévit et les coings croissent tout seuls.
*
Traduit du roumain par Cindrel Lupe.
*
Lisez l’original en roumain :
http://wp.me/p1wz5y-t9
 

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