Archives de Catégorie: Tudor Cristea

Cubes – Tudor Cristea

Elle vient.
Elle vient et l’air se solidifie autour d’elle
(souvent je décris de tels petits miracles
dépourvus de sens)
l’air se transforme en cubes transparents
et tombe à ses pieds ;
elle vient par les cubes transparents
en se multipliant. Par son propre corps
se multipliant.
Elle vient du passé ou du futur,
de plaine ou de colline,
et le passé et le futur se transforment
en deux cubes
(la colline et la plaine se transforment en deux
cubes transparents) à travers desquels tu peux regarder le lointain, dans lesquels
tu peux entrer et desquels
tu peux sortir (je me rappelle :
j’ai pénétré ce matin-là dans la halle
personne n’y était
dans le rêve
l’automate battait en cadence
câbles, roues graissées, huile et fraîcheur,
cette tâche – sang ? – sur les carrelages froids,
vapeurs et sel, l’automate battait, seule cette tâche
humide, gluante et
plutôt son contour, t’as eu un frisson, tu as relevé
ton col en fourrure, la touche veloutée
je l’ai sentie) et voilà, maintenant
elle vient, avance sa bouche
vers ma bouche, me touche de la fleur. Mais qui
est-elle ? Moi, qui suis-je ?
*
traduit du roumain par Tudor Mirică
*
Lisez l’original en roumain :

http://wp.me/p1wz5y-hl

 

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Siècle – Tudor Cristea

Tu portes tout sur ton dos
jour et nuit comme dans une
besace de la Grande Guerre
ensemble le café l’allumette les clopes dont
le parfum évoque des contrées nostalgiques
tu penses confusément à tout cela :
blue-jeans, savon rexona, réclames –
the world’s favourite beauty soap – des robes légères
sur l’aéroport international, rouge à lèvres,
le petit miroir,
le fond de teint, le pistolet, le crayon de beauté et le TNT
et la camomille et la colza fleurissant
sur la carcasse d’un avion écrasé
 
le message posthume
de saroyan – que
se passe maintenant ? – le blé pousse, l’alouette
tombe dans le champ de coquelicots
 
ensuite des petits riens : couteaux,
fourchettes, couverts à poisson, subtils
instruments de torture et le caviar
sur les tables des capitaines d’industrie
venise sombre, les continents
s’écartent de quelques millimètres dans l’année,
le pétrole se réduit
 
et ta vie partagée en quelques époques
selon les séries de samedi soir
 
oh, oui, la nuit seulement tu peux entendre
la mer frôlant le rocher, la plage et le son
de collier éparpillé des coquillages, mais
le turboréacteur déchire le ciel à zéro heures cinq
pendant ce temps quelque part en dessous
dans un champ un attelage à bœufs grinçant
les roues coincées dans la poussière d’étoiles s’arrête
au passage gardé attend qu’il passe
orageusement l’express de la nuit, oui, oui,
les voyageurs vautrés dans leurs fauteuils, dans
la lumière chaude lisent les nouvelles
du paris match du new york
herald tribune du pravda du times la planète dort
l’horloge sonne il est tard
l’attelage part lentement la nuit
sent le foin
la lune se tait …
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe
*
Lisez l’original en roumain :

http://wp.me/p1wz5y-h8

 

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Deux poésies – Tudor Cristea

Quelques mots au sujet du paysan (ou du poète)
 
Quand le printemps arrive et le soleil attendrit la terre
le paysan ne se pose pas de questions ;
il sait qu’il faut préparer sa charrue
et les graines ; sa maison
sent les graines saines ;
dehors le vent assèche la glaise, lui
s’occupe dans la cour et attend l’instant ;
jamais il n’y pensa que trop de paysans
font pareil sur la terre ;
il a enterré ses enfants et puis
a jeté la graine dans le sillon en espérant,
il a enterré sa femme ou son frère et a jeté
des graines dans le sillon ; lui-même quand
il a trépassé fut jeté dans la terre
comme une graine ; ainsi la fleur de la confiance
surgit sur sa tombe
en même temps que les coquelicots dans le champ de blé,
en même temps que la chicorée, la vesce, la colza ;
sur le sentier du champ
les pieds du paysan passent inconnus,
lui
se faufile des fois parmi des machines qui veulent le déchirer
parmi les mages modernes prédisant sa fin ;
il jette des graines et ne se demande
s’il n’aurait pas autre chose de mieux à faire,
jette des graines des deux mains et le blé pousse,
et le maïs pousse et le protège, lui
jette des graines des deux mains et puis
attend, attend,
attend …
*
 
A quoi bon
 
A quoi bon tout ce
tapage, tu lis
sur la peau de la femme ton propre poème,
tu éclaires de ton sang ses cheveux
le soir au bord de la mer regardant en vain
tu radiographies d’un regard phosphorescent le contour
des nuages, tu déchiffres
la structure porteuse de la fatigue,
les mots du crépuscule sur son dos : tu me tues,
mais tue-moi sans aucune orthographe, écris sur ma peau
la folie de ce poème : une femme, une grenade
ouverte de la matinée ou
un fruit sauvage dans la forêt
de symboles
secouée par le vent …
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe.
*
Lisez les originaux en roumain :

http://wp.me/p1wz5y-gn

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