Archives mensuelles : septembre 2012

Equinoxe – Miron Radu Paraschivescu

 
Fidèle je t’attendis. Car ta venue
La devinais par galaxies et nues.
Il est pour moi, ton corps, qu’en moi résonne
Comme un violon dans l’âme qui la chante,
La lumière s’échappe, qu’elle nous cautionne
Le vent nous enveloppe comme des plantes
Et chassera d’entre nous les sérénités.
Le corps nous est unique et partagé
Factice, entre les deux entités.
 
Passa l’instant quand nous nous sommes sentis
Comme les appels qui vers les sources montaient
Qui ce jour coulent – fleuve unique et uni.
Toi, à ma bouche t’es bouche, et t’es rosée,
Par mes yeux vois le ciel de chicorée
Les paumes ont leur place définie
Depuis un temps : les tiennes sur mon épaule
La mienne, en coupe sur ton sein si rond,
Et l’autre ceint tes hanches si sereines.
Par toi commence, finit, un cours d’école.
 
Dans tes cheveux je plonge comme dans les ondes,
Nous fûmes coulés dans un pareil airain
Et quand d’une même étreinte nous nous touchons
Un identique son nos êtres couvent.
Car nous venons les deux des mêmes lointains :
Brisées maintenant, en nous qui se retrouvent
A eux, les mêmes aubes nous projetons.
 
Greffon nous sommes, l’un pour l’autre ici,
Ensuite la même veille nous a grandi
Unissant la même glaise, le même ciel
En deux souplesses, pousses verticales.
Ni le sourire, ni le mot, ne sont seuls :
Ton rêve me dis, moi à ta tristesse banale
Souris et ris : les âges nous repartirent
Mais aujourd’hui, ciel, terre, feu et liquide
Appartiendront à un vaste empire
Unique. C’est pour ça qu’à l’empyrée
Quand tu regardes, mon regard boit avide
Au ventre de la terre endommagée
Que je laboure en toi et en creusant
Et un volcan nous secoue en avant
Pour s’envoler de ce présent mourant
Vers un tout jeune astre, qui nous pressent.
*
 
traduit du roumain par Cindrel Lupe
*
Lisez l’original en roumain :
http://wp.me/p1wz5y-tJ

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Quatre poèmes de Mircea Ivănescu

 
 
Mots, mots, mots…
 
Il faut choisir les mots soigneusement
Les mots laissent des traces – tu te rappelles
plus tard d’elles – aussi comme les pas restent dans la neige,
il faut choisir les mots (mais quelque fois il est si facile
de savoir poser les mots les uns à côté des autres
pour dire quelque chose qui ne se superpose plus
exactement sur ce que tu sais vraiment
que c’est en toi, que tu sens.
n’importe qui peut faire des mots les uns après les autres,
n’importe qui peut parler – ce n’est pas ça
le principal – il fallait peut-être choisir
justement les mots qui ne disent pas trop).
et après, chacun de ces mots
comme des traces dans la neige…
*
 
Amour flou
 
tomber amoureux alors, après tout, de la neige
savoir à vrai dire qu’il s’agit d’un amour, où prendra fin
dans quelques semaines sa présence, et presque une année
après tu devras attendre, au long des jours chauds,
ou par les nuits froides, ou par la brume, mais sans qu’elle
t’apparaisse devant, sous tes pas, sur tes mains, ou sur
ton visage, toutes ces journées. (comme dans l’adolescence,
quand une fois tu lisais que la meilleure façon de supporter son
indifférence c’est de te l’imaginer partie. seulement que maintenant
tu ne te l’imagines pas absente. tu sais que rien – comme dans une mort –
ne peut pas te l’apporter maintenant, ici. c’est comme une mort).
et sans en penser, en sachant
qu’il sera possible que jusqu’au prochain hiver ne plus l’aimer,
la neige. et alors ? il faut l’aimer ces journées brèves,
humides, et sales, où la brume – l’on dit cela – mange la neige,
 
et la neige est comme une femme malade – et tu l’aimes –
et sache – sans en penser – qu’elle finira.
*
 
Feuilles
 
je voudrais m’asseoir sur le bord du trottoir,
attendre qu’il fasse nuit au bout de la rue – ma
solitude actuelle a encore
quelque chose d’identique à celle de mon enfance,
quand je ne savais que passe pour toujours
le temps ? on ne peut racheter
avec rien ce temps révolu ? il ne me reste
en vérité aucun geste, même assis
dans la rue, la tête dans les mains ?
et la lumière, qui se dissipe sur les objets,
et les objets se font feuilles,
et se font feuilles.
 
 
Myopie
 
le soir elle me dit – aujourd’hui elle m’a lu dans le marc
suzanne même, elle me racontait comme il me court après un homme
les yeux ronds, les yeux saillants – puisse cela dire
que c’est un homme à lunettes ? (moi j’enlève prestement
mes lentilles de mon nez et leur souffle dessus
pour chasser les tentations) mais après –
disait la suzanne (c’est elle qui continue de parler)
il y aura un tournant et t’échappes – c’est ce que je craignais aussi,
rajoutait-elle pensive, vue sans lunettes
sa figure fait semblant d’être – je pense avoir écrit il y a longtemps
que mes liaisons avec le temps sont comme la fuite
d’un fou qui veut s’attraper
lui-même – et il y a toujours un tournant,
ensuite je remets mes lunettes et tout redevient normal.
*
 
traduit du roumain par
Tudor Mirică (Mots, mots, mots … ; Amour flou)
et Cindrel Lupe (Feuilles ; Myopie)
*
 
Lisez l’original en roumain :
http://wp.me/p1wz5y-tF

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Deux Poésies – Constant Tonegaru

Nous deux
Mon âme était sereine comme un matin,
mais lorsque ma main je voulus avancer
c’était comme si j’étais devant une glace :
la face devant moi je ne pouvais toucher.
 
Les jambes croisées il fumait une cigarette
jetait les cendres, blasé de tant de monotonie,
les caroubes dernières pendaient tel langues de molosses
ennuyés d’avoir été mal pris en chromolithographie.
 
Au-delà des pelouses un quelconque rêveur
dans dieu sait quelle mansarde au rythme de la vie, banal
écoutait au gramophone une chanson du Samoa
mâtant bleus tramways au trôlée pentagonal.
 
Nous étions deux : Moi et puis Mézigue,
à la fin par tant d’ennuis on s’est engueulés,
les eaux étaient calmes et le parc désert
sauf pour les caroubes, qu’on les a crachés.
*
 
La Pluie
Avec cette pluie, les feuilles collaient à l’asphalte comme dans un album ;
les voyageurs dans le tramway faisaient le trajet et je restais à écouter
comment sur la vitre aux publicités pour ambre solaire
du côté gauche la pluie se tamisait d’un rythme très occulté.
 
En lisant le journal à cette heure tardive de soirée pluvieuse
j’ai su que la bataille d’Ukraine la steppe prenait
et je me suis aperçu sortant des brumes hanté par des hordes de loups
me rappelant que jadis le hetman Mazeppa j’étais
 
Des nuages violets se décomposaient en gros flocons comme de gants
figeant des doigts mous sur le désert éblouissant en coton
avec une gestuelle standard et blasée sans rencontrer le salut attendu
les pingouins d’une latitude de circonstance découpés en carton.
 
Les choses dont je parle ici réellement avaient lieu vers l’année millesixcentsetdespoussières ;
par ces temps-là j’étais nihiliste et complotais pour renverser le Czar
mais le gel me pénétrant plus profond que la lame d’un sabre arabe
j’abandonnais les pensées subversives pour qu’elles conspirent dans le samovar.
 
Dans mon regard le temps avait oublié de passer
et au loin j’entendais encore les loups hurlant dans la steppe des Nogaïs –
puis voilà des klaxons, Dieu tant de klaxons ;
bien sûr il y eut lieu un banal accident de tramway
 
Une voyageuse aux yeux verts discutait dans le wagon avec un ton affable ;
– L’homme parle tout seul lorsque il grisonne …
– Oui, je fus le hetman Mazeppa ; maintenant un fonctionnaire convenable
et sur la vitre aux pubs le ciel pleurait pour moi d’une bruine monotone.
*
traduit du roumain par Cindrel LUPE
*
Lisez l’original en roumain :
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A des moulins à vent – Ion Pillat

 
Ô, corniches aux noirs ailes sur blanc disque de la lune,
Qui encore se rappellent, même tellement vieilles étant,
Ce Don Quixotte en guerre contre les moulins à vent
Aux vêpres entr’aperçues au chemin de Pampelune !
 
Les martinets construisent sous les voliges anciennes
Début printemps, des nids tout en pailles et en terreau,
Et chaque automne qui vient en creusera un tombeau
En roche, ou dans la glaise, dans le sable de la dune.
 
Même si la mort vous guette, année après année
Gardez encore, d’un noble de Castille, la fierté ;
Et votre bras, me semble qu’il porte une fine épée …
 
Figées, je réalise : vous guettez en mêlée
Qu’il vienne, dans la brillance d’un harnais résonnant
Hidalgo de la Mancha et son rêve délirant.
 
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe
*
Lisez l’original en roumain :
http://wp.me/p1wz5y-ts
 

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Pensées – Aurel Sibiceanu

Psaume
 
Tes ordres, Dieu, on ne les entend plus
et vois, même l’eau semble nous renier,
le sentier de lumière est comme perdu
c’est comme si on vivait le Temps Dernier.
 
Au réveil nous sommes moites de fantômes et visions,
comme des fantômes marchons éveillés,
l’amour échangeant sur des frêles illusions,
l’hostie contre la querelle sera échangée.
 
Au froid et à l’abandon nous gardons nos parents,
comme des étrangers ils nous conspuent et chassent,
nous portons railleries aux peines et aux saints
notre cœur rétrécit, c’est une sauvage passe.
 
Nos sages sont dénigrés, l’œil qui voit stable,
nous profanons les vierges, les mères, leurs enfants,
l’obscurité se met avec nous à table
et nous suivons ses durs commandements.
 
Permets nous encore, Seigneur, de Te trouver,
rappelle chez Toi seulement les meilleurs d’eux,
comme tu as rappelé
nos innocents aïeux.
 
 
Basilique
 
Il fait nuit et l’aboiement du chien
des pierres ressort la fleur d’églantier,
de leur peine d’être une fenêtre
à travers laquelle seul l’aveugle peut regarder.
 
Il fait nuit, le Paître est léger en dormant,
léger tel l’argent dans les habits …
 
Sur la table tienne, le sable, être de l’instant,
près de la pierre de Sarmis mon absence
la signifie par ses lointains secrets …
 
Et je te perds dans l’étang du bougeoir,
je t’enlève un peu de terre, je te laisse un peu
près de l’albâtre embué de rosée, près de l’air
enjoué par les cils de ma mère
avec des larmes et douces illusions …
Mais dans ma paupière de glaise je te tais
des vitraux et abîmes de lumière …
 
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe
*
Lisez l’original en roumain :
http://wp.me/p1wz5y-tn

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Poésies d’amour – Petre Anghel

 
SOUVENIR DU PARADIS
 
Tu étais haute comme un cri étonné,
Ton corps ondoyait comme une serpente,
J’étais sans voix et je me demandais
Pourquoi tu ne chantes pas, harpe résonnante.
 
Pris de vertige je fus jusqu’à quand
Tu t’es mise à sonner, par le vent touchée
Les étoiles clignotaient dans les peupliers
Et tu m’encourageais de dire qui j’étais.
 
J’étais tel le nouveau-né affamé
J’aurais pleuré, le sein sur mes lèvres sentant,
Tu étais plus chaude qu’une colombe
Dans le grenier de l’étable errant.
 
Tu sautais comme un vers du poème
De celui qui tel un dactyle le rythme voyait,
Je garde encore dans mes oreilles
Le soupir en mi mineur : viens au verger.
 
 
J’AI COMPRIS, AMOUR
 
L’oiseau a été créé en premier.
Le trait, celui invisible au nadir
Me montre, à l’heure tardive,
Comment voler, sans périr.
 
J’ai compris l’hérisson
Qui dans un rond s’accomplira
Et les épines de la couronne
Par laquelle on me jugera.
 
Puis ce qui veut dire donner je réalise
Quand il en pleut des cordes
Et on me porte sur le sein
Pour que la brume ne m’emporte.
 
Lorsque le gel s’étend
Et j’marche comme un précaire
Je pense que l’ours est bien
Tapi dans son repaire.
 
Et je me tourne vers toi
Comme l’ancien Job résigné
Pensant que tu me recueilles
Dans ton havre de paix.
 
 
CONSEILS POUR AMOUREUX
 
 
Le soir ne traîne
Pour tes caresses,
En les faisant
Ne crie liesse.
 
Sois plus discret
Que geai en été
Lorsqu’il ne chante plus
Son fardeau choyé.
 
Quand elle est triste,
Caresse son visage,
Un bon mot chasse
La brume où elle nage.
 
Dis-lui des contes
Aux fées graciles,
Fais-lui, lentement, des
Bises sur ses cils.
 
Fais lui coussin
D’une vaste poitrine,
Sois pas macho
Car t’as bonne mine.
 
Chaude quand sera
Comme une baguette,
Chante-lui tout bas
Genre alouette.
 
Et à la fin
Faut que tu danses
Mouvoir la terre
En vieille cadence.
 
 
N’ALLUME PAS, MA CHERIE
 
 
Non, n’allume pas la lampe
Je sais qu’il fait sombre ici et dehors,
Mais je ne suis pas prêt de me voir,
Ni de me soumettre
A la civilisation en carton et fumée.
 
Je ne suis pas prêt ni de rencontrer mon père,
Des émotions j’en ai point,
Nous avons convenu
Qu’il me fera un signe
Quand il sera tout près
Du pont dans la vallée
(Nous le traverserons main dans la main).
 
Une branche de pommier
Trompée par l’automne
Avait refleuri,
Je ne la vois,
Mais la suis quand elle tremble sous le vent.
 
Non, n’allume pas la lampe,
Le feu dans le foyer
Me suffit largement.
 
La gloire du monde passe,
Des oiseaux passent dans leur vol,
Il pleut de feuilles mortes.
 
Lui seulement,
Qui m’a donné son nom ne passe pas.
 
Il ne vient que
Pour allumer la lampe.
 
 
MELANCOLIE D’AMORE
 
Il y a belle lurette
Que t’es partie si loin.
La parole est muette,
Elle ne me laissa rien.
 
Peut-être dans les hauteurs
Flotteras-tu ravie,
Garde ton bonheur
Quel jour on est j’oublie.
 
Fait-il chaud chez toi
Ou froid comme chez nous
En rêvant parmi les nuages
J’oubliais la boue.
 
Te dire de revenir,
Soumise créole,
Je ne saurais agir,
Mais dite est la parole.
 
Je voudrais que tu danses,
M’entendre tu ne peux
Je me trouve bien ici,
Mais les yeux pluvieux.
 
Même le vers se brise
Barrique sans éclat
Ne le reconnaîtras,
Je ne suis plus moi.
 
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe
*
Lisez l’original en roumain :
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