Ce soir la malle-poste traversera les gorges
Nous allons la surprendre au lieu déjà connu,
Tel au temps ou les haches sortaient tout droit des forges
Et on tirait le mousquet, comme dans l’ère révolue.
Ce jour on ne touchera pas la malle de fric remplie,
Ni aux fines soieries, crèmes ou colifichets,
On touchera pas la bourse comme une balle dodue
On fouillera pas les poches cachées en lieu secret.
On ne s’enfoncera pas dans des sacs d’or qui débordent
Nous défierons la harde des pingres voyageurs
De toute manière, nous n’allons pas, roulant des cordes,
Couvrir nos yeux de masques, amis loyaux et chers.
Pas pour toucher la blonde errante dans les broussailles
Qui tremble et qui fourre ses perles entre les seins,
Pas pour choper aux filles l’anneau de fiançailles
Tournerons-nous féroces les pétards dans nos mains.
On s’en fout de la bourse de l’usurier rapace
Qui claque des dents sur le banc, pris d’un frisson mauvais,
Ni le panier aux poules, même pas le coq qui croasse
En battant des ailes, près du chariot retourné.
Ce soir, amis, la poste amène une autre chose
Plus noble et précieuse qu’on pourrait en penser
Voyant une voyageuse mince svelte, toute rose
Ou plein de sacs en jute, d’argent et or bondés.
Ce soir la malle-poste ramène une personne idéelle,
Un voyageur de marque comme je ne saurais dire,
Ramène le temps – le seigneur que aucune gabelle
N’a jamais réussi à le faire revenir.
Boyard avec des haras et gîtes éphémères
Où des chevaux de race tirent les années bleutées,
Négociant de liqueurs, si doux, tantôt amères
Un pingre qui ne se laisse tenter par des beautés.
Plus riche qu’on peut comprendre et plein qu’il en déborde,
Sous la veste on devine la bourse remplie, dodue,
Des bagues qui clignotent sur ses doigts font concorde
Et le revers du veston porte une étoile tordue.
En or massif, une chaîne traverse sa bedaine
Avec une montre ronde qu’il consulte, empressé,
Regardant distraitement et avec l’allure mondaine
Si, un instant – des siècles – en rabe serait resté.
Quand il s’endort bercé par les vagues de ronde
De la carrosse portée par les grisés bardots,
Il ronfle et écrase comme le fait tout le monde
Dodelinant sa tête comme tout autre ballot.
Il n’est du tout étrange et a une bonne figure,
Ce qui ne fait pas croire le grippe-sou qu’il est,
Personne ne le garde, il erre dans la nature,
Il voyage tout seul et toujours épuisé.
N’ayez aucune crainte, la lutte sera aisée
Et lorsque dans nos trappes enfin nous en tiendrons
Son éternelle toile, cette-fois-ci cassée,
De tous brigands du monde nous, les plus riches serons.
Si on s’empare de lui et de son trésor si rare,
Nous sommes vernis, les mecs, au-delà de nos pensées,
Et si, ce soir, de cette personne on s’empare
Nous aurons fait un coup qu’on pourra nous envier.
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Traduit du roumain par Cindrel Lupe
Lisez l’original en roumain =
https://versionroumaine.wordpress.com/2017/12/30/buffalo-bill-radu-stanca-1920-1962