Archives mensuelles : août 2011
Cantique de désir et soupir – Miron-Radu Paraschivescu
Je chanterai toute une vie
à la porte de ma mie,
je chanterai comme un benêt
pour souffrir – et pleurnicher !
Car elle était belle ma gueuse
à lui biser la vareuse,
ses lèvres de giroflée,
j’les mordrais toute la journée !
Elle avait si fière allure
j’ai la panse qui me torture
quand je pense à sa figure.
M’a dit pour la courtiser
d’emprunter chez le banquier
et refaire mon dentier.
Moi j’n’ai pas serré les couilles
j’en ai aboulé d’l’oseille
et m’suis mis des dents dorés
comme tous les boyards friqués.
Robe en soie j’lui ai payé
babouches en velours rayé
en ville je l’ai promenée
que les gens puissent la mâter
parce qu’elle est ma bien aimée.
Car je l’aime sans répit
je n’arrête pas mon récit,
en enfer tant je suis cuit.
V’là ma tête pleine de bouse :
pour lâcher ma pauv’épouse
et m’enfuir avec une drôle
qui ne s’lave pas les guiboles
et me pique tout mon flouze.
Ce n’était pas la faute mienne,
que Dieu lui donne de la peine !
Dès que j’bougeais un chouïa,
fichtre ! elle me suivait au pas ;
j’voulais aller à la messe,
là, elle me bottait les fesses ;
j’la prenais sous les aisselles
sa bouche sentait les airelles.
Et pour me rendre barjot
elle portait un coquelicot.
Qu’il dise, qui l’a connue,
comme elle était bien foutue ;
car, le ciel la damnera,
minces sourcils elle dessinât,
aux alentours de ses nattes,
pourrissant mon esprit blette.
Que vous dire, jusqu’à la fin ?
J’la suivais, pas très malin
partout où elle se flagornait
d’être ma môme bien-aimée.
Pis elle la jouait amène,
rien que soupirs et haleine,
quand on froissait ses tiretaines.
Ah, que j’la verrais de glace,
car la flamme ne me passe !
J’la croyais mon entier lot ;
mais, cachée sous les rideaux
elle lorgnait les godelureaux …
Et un soir, de la terrasse,
j’vois un garde monté qui passe,
elle sort vite pas si dupe
et s’enfuit montant en croupe.
Depuis elle est en vadrouille
moi je suis resté bredouille,
tout seul, à mordre ma clope,
putain de merde de salope !
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe.
*
lisez l’original en roumain :
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La troisième élégie – Nichita Stănescu
Contemplation, crise de temps et de nouveau contemplationI. Contemplation Si tu te réveilles, voilà jusqu’où l’on peut parvenir : Soudain, l’oeil devient creux comme un tunnel, le regard et toi n’en ferez qu’un Voilà jusqu’où peut-il parvenir le regard, s’il se réveille : Soudain, il devient creux, pareil à un tuyau en plomb par lequel seulement le bleu voyage. Voilà jusqu’où peut-il parvenir le bleu éveillé : Soudain, il devient creux comme une artère dépourvue de sang par laquelle les coulants paysages sanguins se voient. II. Crise de temps Ô, brève tristesse, insecte verdâtre, vous, oeufs tendres, habitant un noyau de météore cassé ; et par mes paumes couverts pour naître un tout autre décor. La chambre se répand par les fenêtres et dans mes yeux ouverts la retenir je ne puis. Une guerre d’anges bleus, aux lances électrisées, se passe dans mes iris. Je me mêle aux objets jusqu’au sang, pour les arrêter, dès le départ mais ils heurtent les chambranles et continuent à couler vers un nouveau rempart. Ô, brève tristesse, il reste tout autour une sphère de vide ! Je suis dans le centre et un à un mes yeux du front, de la tempe, des doigts s’ouvrent. III. Contemplation Soudain l’air hurle… Ses oiseaux sur mon dos il va secouer elles s’enfoncent dans mes épaules, dans l’échine, occupent tout et n’ont plus où se poser. Au dos des grands oiseaux s’enfoncent les autres, vacillants. Cordes débattantes les traînent, aquatiques plantes. Je ne peux même plus rester droit, mais abattu, sur des pierres fluorescentes, je m’accroche le bras au pilier d’un pont voûté sur des eaux inexistantes. Fleuve d’oiseaux enfoncés aux becs l’un dans l’autre s’agite, de mon dos se déverse vers une mer glacée immaculée. Fleuve d’oiseaux mourants, dans lequel lanceront des canots pointus les barbares, migrant toujours vers des contrées nordiques et inhabitées. IV. Crise de temps Comme si un tombeau se casserait et en coulerait au fleuve tout son mystère… Mais plutôt, lui, le regard, nous retient à un de ses buts fructifiés. Il suce de nous autant qu’il peut, en semblant nous montrer les anges des arbres et des autres paysages. Les arbres nous voient, eux, mais pas nous, pas nous. Comme si une feuille se casserait et s’en écoulerait en tant que ruisseau d’yeux verts. Nous sommes fructifiés. Nous pendons au but d’un regard qui nous absorbe. V : Contemplation Dans un éclair un monde apparaît plus brièvement que le temps de la lettre A. Je savais seulement qu’il existe, même si la vue derrière les feuilles ne le voyait pas. Je retombais dans l’état humain tellement vite, que je m’heurtais à mon propre corps, douloureusement, très étonné de l’avoir. Je me longeais l’âme d’un côté, et de l’autre, afin d’en remplir les tuyaux de mes bras. Pareil que le globe au dessus des épaules et les autres apparences, aussi. Ainsi je m’efforçais de me rappeler le monde que j’ai compris d’un éclair, et qui m’avait puni en me jetant dans ce corps, lentement parlant. Mais je ne pouvais me rappeler de rien. Seulement cela – que j’ai touché l’Autre, l’Autre Chose, l’Autre Part, qui, en me sachant, m’ont repoussé. Gravitation de mon coeur, tous les sens en les rappelant toujours. Même toi, esclave des aimants, ma pensée. * traduit du roumain par Tudor Mirică. * lisez l’original en roumain :
Classé dans Nichita Stănescu
sais-tu, le matin seulement – Marina Nicolaev
sais-tu, le matin seulement
la mer fait descendre les esturgeons ensommeillés au rivage
sous l’herbe fauchée des vagues on entend frémissant
de nulle part
j’ai une pensée de toi et ne suis plus
étrangère au monde
dessein signe solitaire
troupeaux de nuages détachés du ciel nous égarent l’étonnement en semences le matin seulement dessein signe solitaire quand te verrais-je encore mon bon souvenir
l’après midi est aux oiseaux bougons tournoyant au-dessus de nous ses bourgs de brouillard les mers affamées crient nos noms – le mien, sous les récifs, sitôt ne l’entonne –
… si tu m’as oubliée dessein signe solitaire oubliée dans le monde sais-tu, au fondement de ta bastide mon ombre j’enferme vers le matin … * traduit du roumain par Cindrel Lupe. * lisez l’original en roumain :
Classé dans Marina Nicolaev
trois leçons – Nichita Stănescu
du volume "oeuvres imparfaits" - 1979la leçon sur le cube On prend un bout de pierre on sculpte avec un ciseau on polit avec l’œil d’Homère, on racle avec des rayons, jusqu’à ce que le cube ressort parfait. Après coup on embrasse des maintes fois le cube avec ta bouche, avec la bouche des autres et surtout avec la bouche de l’infante. Après coup on prend un marteau et soudain on écrase un angle du cube. Tous, mais absolument tous en diront : – Quel cube parfait aurait pu être celui s’il n’avait pas un angle écrasé ! * l’état moyen Galets fumants et chevaux brisés, temples adolescents en ruines d’où le dieu s’est arraché lui-même en laissant des longues bandelettes de peau verdâtre et cet air étouffant du fait que je suis Matrice chaotique où je fus coulé ensemble avec les autres sesterces de l’amphore que lui avait oublié de prendre avec soi Je vieillis indépensé et inchangé en rien parmi ces ruines adolescentes parmi les colonnes qui embaument encore la pierre fraîchement polie. Des fois je porte un long regard vers le feu du ciel où était disparu le dieu En bandelettes de peau verdâtre je me suis fait des habits La seule chose d’en moi et sur moi qui ne rompt pas. Tient et ne rompt pas. * la leçon sur le cercle On dessine un cercle sur le sable après on le coupe en deux, avec la même branche de saule on le coupe en deux. Après on tombe à genoux, Après on tombe à quatre pattes Après on frappe le sable du front et on demande au cercle le pardon. C’est tout * traduit du roumain par Cindrel Lupe. * lisez les originaux en roumain :
Classé dans Nichita Stănescu
Epigrammes roumaines
Un florilège ... de piquants, ronces, orties, par les plus connus poètes roumains du genre* Propagande culturelle – Păstorel Teodoreanu À la Sorbonne quand il s’est mis Son fruste français à étaler, Tous les Français là se sont dit : La langue roumaine, quel doux parler ! * Quand tu rabaisses… – Păstorel Teodoreanu Quand tu rabaisses son jus, et le vignoble A l’eau de Seltz tu souilles le vin, ô vile prouesse, Ne penses-tu, être infâme, pervers, ignoble, Que tu profanes la nature et compromets l’ivresse ? * L’étoile rouge – Păstorel Teodoreanu Tant d’étoiles qui sont au ciel Jusqu’aux aubes, toutes déclinent. Rien qu’une, sotte comme une écuelle, Reste toujours sur notre usine. * Consolation – Mihai Danielescu Mourir j’ai quelque fois l’envie, Car ce faisant serais-je assouvi, Sachant qu’au moins une seule fois, Mon propre chef marchera derrière moi. * Bonnes manières – Florentina Dinescu Je connais un tas de gens Parmi les coqs de la paroisse Qu’ont pris souvent des gants… Des empreintes qu’ils ne laissent. * Réflexion – Paul Dumitrescu Ils se dupent, l’on nous suggère, Ceux qui prétendent – et y’en a tas – Que la jeunesse est passagère… Comme si la vieillesse n’en serait pas ! * Capitalisme à la roumaine – Nicolae Fulga Je disais jadis que c’est pas bon, Pour deux ruelles un estaminet, Mais hier, le Maire avoisinait Pour trois guinguettes deux maisons ! * A un poète qui publia 12 poèmes sur une page – Tudor Măinescu Douze poèmes tu publias Sur une page de revue – pleine. Donc chacun d’eux en pourra Être un poème de douzaine ! * A un poète – Giuseppe Navarra J’ai lu, strophe après strophe Son élaboré ouvrage. Il y a un chouïa d’étoffe Mais plein de rapiéçage ! * Les Vacances – Jean Buhman Je regardais la carte, penseur, Les vacances faut que je me plaigne Des prix – comme des pics de montagne Confort – au niveau de la mer. * Définition – Nelu Ionescu-Quintus D’après son sens, comme on dit, L’épigramme est une lutte Qui comporte un penalty A la dernière minute ! * Sur le tombeau de Cléopâtre – Florin Iordăchescu Sous la dalle d’albâtre Froide, mais royale Gît la Cléopâtre Toujours horizontale * Sur la dalle de Colomb – Florin Iordăchescu Gît, enterré dans son moule Cristophe Colomb, ici-bas, Qui, même s’il ne fût une poule, Quand même, un œuf nous laissa. * Sur l’ensemble du territoire – Păstorel Teodoreanu Sur l’ensemble du territoire Le sel manquera crûment, Car la plupart des bagnards Siègent dans le gouvernement. * Traduit du roumain par Tudor Mirică et Cindrel Lupe. * Lisez les originaux en roumain :
Classé dans Diverses
Destin – George Lesnea
En tailles habiles ont engendré jadis les maîtres,
Par profondeurs des bois et des cavernes, mon être
Dont j’ai porté le corps et ses années fuyantes
Du creux du temps, les amenant jusqu’à présent.
Dans mon âme durcie les siècles je porte hautain,
Le ciel stérile et la féconde glaise dans un levain,
Tempêtes alpestres, aux preux sapins sur crêtes,
Et trilles de merles, et son des cloches pour prière,
Et nostalgies ensevelies dans des chansons amères,
Et sur des vieilles ornières foulées des bêtes.
Je porte des chants et litanies, amours d’hier
Dans des cellules basses et sur les vieux psautiers,
Aux jeunesses perdues en moine sous une toque
En récourbant devant les saints mon froc.
Je porte l’eau de la mort, en son tourment m’appelle
Mes pas vers la lumière dans les ténèbres elle scelle,
Quand le soleil clignote aux mares à roseaux
Et une volée de piafs chasse le silence d’en haut,
Quand les chemins ondoient vers leur vague horizon,
Traînées en poussière par les serpents du loin.
Je me porte moi-même et mon instant je change
Soit en couronne d’épines, soit pour un nimbe d’ange.
J’aime le désir qu’en moi se cache oisif et fourbe,
Le cherche parmi étoiles, le trouve scellé en bourbe.
Des espérances je tresse pour des futures contrées
Comme des serpents qui dansent par flûte ensorcelés.
L’envol comme le traînage les trouve agréables.
Je goûte la chair pétrie par l’ange et par le diable.
Dans mes propres passions charmé je suis et pris,
Comme l’araignée vorace dans son filet exquis.
Tout en laissant le temps en son sablier se foutre,
Dans mon destin en brouille me cherche et me sens
Tel dans son monde de l’eau et de l’azur une loutre.
Et je poursuis aveugle l’appel d’un rêve immense.
De ce silence grumeleux, des mottes de minuit
Je me suis lentement forgé mon essor calme.
Par les carreaux du temps à grande peine je le suis
En mains, comme une cierge, j’essaie tenir mon alme.
Je suis hymne de naissance et pleur d’enterrement.
Je suis la sève de l’éternel, qui monte le chemin,
Des feuilles qu’attendent là-haut en vain et doux tourment,
Et je veux par ma souffrance de me prouver humain.
*
Traduit du roumain par Tudor Mirică.
*
Lisez l’original en roumain :
Classé dans George Lesnea
Ars Poetica – Petre Stoica
Jette ton fusil dans l’herbe
qu’on ne te prenne pas pour un pacifiste
et délivre les lièvres en copinant avec les équarisseurs
descends sur les berges et coupe des brins d’osier
tricotes-en les mots du poème radical
pour un cœur à pompes de pierre
fatigué assieds-toi au repas de l’abondance
mange des miettes bois de l’eau gazeuse
rassasié et ivre viens de nuit à la fenêtre de ta bien aimée
et chante-lui la ballade de la tendre ère atomique
lève-toi à midi et cesse de te tondre
les corneilles chassées ont aussi besoin d’un nid
sois généreux jusqu’à la fin donne à tous
des mesures et des règles du jeu
et après une longue initiation en tisane de millepertuis
rapièce ton blouson rongé par les mites
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe.
Lisez l’original en roumain :
Classé dans Petre Stoica
Sur la montagne – George Lesnea
Une lampée de vêpres dispersées dans l’eau.
Est-ce que les troncs brûlent constamment des cierges,
Que tellement de cire goutte de l’écorce ?
Rares éperviers l’âme aux aubes nous cherchent
Eloignant des fronts les épreuves de force.
Hier se fracassait la baie d’un arc-en-ciel
Recouvrant d’éclats l’herbe de la clairière.
Les moutons descendent de chez l’Eternel,
Le pelage d’agneaux est poudre de lumière.
Le berger remplit son flûteau de chant,
Pour le dire au feu, la nuit près l’étable
Des cimes un nuage esseulé, courant
Vient lui rapporter sa bure minable.
Clopinant en bas sur un bout de champs,
En cache, le sentier suit après les chiens.
Fait des pointes le vent aux habits seyants,
Frôlant les feuillages doux avec les crins.
Est-tu en demain, soit est-tu en tard,
Comme dans le sommeil d’un lointain visible.
Soit ici, soit là et pourtant nulle part,
Dans l’écho la cloche applaudit paisible.
La bergerie se cache en chansons passées,
Le lait et la brousse les ballades épaulent.
Eraflant les vêpres en feuillage poussées,
Tel un vieil instant, quelque feuille s’écroule.
Du lit de souffrance, le flétri avenir
Se remet debout, les soucis balaie
Et devant la meute des jours à venir,
Marche en ondoyant sa bure de soleil.
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe.
Lisez l’original en roumain :
http://wp.me/p1wz5y-e1
Classé dans George Lesnea
Toute chose – Lucian Avramescu
tout défaut de l’âme
peut être corrigé – cria le confesseur ;
tout pneu
peut être réparé pour qu’il ne perde la pression
– dit le vulcanisateur ;
toute terre frappée de grêle peut être cultivée
– dit le fermier ;
je peux faire de n’importe quoi au moins un quoi
– dit le raccommodeur ;
les vaches sont une bonne idée d’investissement – dit
le chef du cheptel
et tous avaient pleinement raison
sauf le premier
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe.
Lisez l’original en roumain :
Classé dans Lucian Avramescu