Archives de Catégorie: Lucian Blaga

Lucian Blaga
L’âme du village
 
Petite, mets tes mains sur mes genoux.
Je pense que l’éternité naquit dans un village.
Ici, toute pensée advient plus lente,
même ton coeur palpite plus lentement,
comme s’il ne battait pas dans ta poitrine,
mais quelque part au profond de la terre.
Ici guérit la soif d’absolution
et si tu t’es mis les pieds en sang
tu vas t’assoir sur un seuil en glaise.
 
Tiens, c’est le soir.
L’âme du village flotte à nos côtés,
comme un arôme timide d’herbe coupée,
comme un revers de fumée des chaumières,
comme un jeu d’agneaux sur des hautes tombes.
 
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traduit du roumain par Cindrel Lupe
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 http://wp.me/p1wz5y-v1

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Oedipe devant le Sphinx – Lucian Blaga

 peinture de Jean-Auguste INGRES

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J’écoute. Ta profondeur si-amère et démunie,
qu’elle doit être brûlante, doucement agissant.
Autour de toi, au large, s’éteint tout être qui vit,
sauf la pâture aux ossements ressurgissant.
 
J’attends ici avec une joie plutôt craintive,
que se déchire le long silence entre nous deux,
cruel, triste rompu comme une blouse chétive
dans un alcôve, sans la lumière et sans vœux.
 
Et stupéfait je vois comment parfois tes serres
en sortent et se rétractent en poches de velours,
comme les chats font, quand après proies ils errent.
 
Tu parles ? – Elle te fait mal aussi cette question ?
La mer te gêne encore l’instant d’un seul frisson,
mais l’aile tu la prépares pour en finir mes jours.
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traduit du roumain par Cindrel Lupe
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http://wp.me/p1wz5y-l4

 

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L’oiseau sacré – Lucian Blaga

 
transfigurée en or par le sculpteur C. Brancusi

Dans le vent par nul engendré
te bénit un Orion hiératique,
larmoyant sur ton entité
sa géométrie haute et séraphique.
 
Jadis aux fonds de mer tu habitais
le feu solaire contournant de près.
Dans des forêts flottantes tu as lancé
un long cri au-dessus les eaux premiers.
 
Oiseau es-tu ? Ou tocsin par le monde montré ?
Ton être l’on nommerait, calice sans poignées,
une chanson d’or tournoyant
par-dessus notre peur d’énigmes trépassées,
 
perdurant en ténèbres pareil qu’en histoires
au sifflet d’un vent imaginaire
tu chantes pour ceux que leur sommeil vont boire
des noirs coquelicots sous la terre.
 
Phosphore gratté sur des ossements vieux
nous semble la lueur qui sort de tes yeux verts.
En écoutant des aveux silencieux
sous l’herbe du ciel l’envol tu le perds.
 
De l’éthéré des midis voûtés
tu trouves dans les tréfonds les mystères.
Elève-toi, sans jamais t’arrêter,
mais ce que t’aperçois ne nous dévoile jamais.
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traduit du roumain par Cindrel Lupe
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http://wp.me/p1wz5y-kv

 

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Venez avec moi, compagnons ! – Lucian Blaga

Venez- près de moi, compagnons ! C’est l’automne,
mûrit
l’absinthe en graines de raisin
et en gueules de vipères le venin.
 
D’une clameur je voudrais ce jour dédier
en l’honneur de ma sauvage merveille, qui s’en va
me laissant seul,
avec mes larmes,
avec vous,
et l’automne.
 
Venez plus près ! Et celui qui a
des oreilles qu’il entende :
les douleurs sont profondes seulement quand elles rient.
Que rie donc en ce jour en moi
l’amertume
et riant aux éclats qu’elle jette son calice aux nuages !
 
Venez- près de moi, compagnons, buvons !
Ha, ha ! Que clignote si étrange dans le ciel ?
Le croissant de lune ?
Non, non ! C’est l’éclat d’une grande coupe en or
qu’on brisa sur la voûte
avec un bras de fer.
 
Je suis ivre et voudrais démolir tout c’qu’est rêve,
ce qu’est temple et autel !
Venez- près de moi, compagnons ! Demain je mourrai,
 
mais vous laisse hériter
de mon crâne superbe, duquel vous boirez
l’absinthe
quand la vie vous passionne,
et poison
quand me suivre vous voudrez ! –
Venez avec moi, compagnons !
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traduit du roumain par Cindrel Lupe
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http://wp.me/p1wz5y-jm

 

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Sur les bêtes à cornes – opinions de Lucian Blaga

Qu’entend l’unicorne
 
Par le monde des histoires
le bourdonnement des racontars.
 
Par le murmure des mers
les larmes des terres.
 
Par le monde des réalités
la chanson des frivolités.
 
Par le grondement du temps
la voix du néant.
 
Par la rumeur de l’éon
la plainte de l’histrion.
 
*
 
Le Cerf au Front Etoilé
 
Ne l’émeuvent pas les friches
connues avec des biches.
Le sentier et ses sillages,
l’étang, les ombrages
ne l’appellent. Ses sabots passent
les envies fracassent.
 
Quand il glisse par la brume
les aubes il hume,
pas celles tout près,
mais les éloignées.
 
Pointant ses oreilles
il entend les vieilles
tournées, hautes, d’obscures
feux et des murmures.
 
Et entend, sous les hautes,
les unes, les autres :
les ères, les sphères.
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traduit du roumain par Cindrel Lupe
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http://wp.me/p1wz5y-ja

 
 

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En Floréal, ce mois prodigue – Lucian Blaga

Nous penserons parfois, plus tard
à cette chose simple qui nous advienne
à ce banc où nous sommes assis
ma tempe brûlante contre la tienne.
 
Des étamines du noisetier,
des blancs peupliers, les braises s’endiguent.
Tout début se voudra fécond
en Floréal, ce mois prodigue.
 
Il tombe des amas de pollen,
autour de nous des jaunes congères
composent en poudre d’un or fin.
Sur nos épaules et nos paupières.
 
Ca comble la gorge si nous parlons,
les yeux, cherchant le mot manquant.
Les regrets, nous les ignorons,
quand, de travers, nous troublent l’élan.
 
Nous penserons parfois, plus tard
à cette chose simple qui nous advienne
à ce banc où nous sommes assis
ma tempe brûlante contre la tienne.
 
En rêve, pressentons nos désirs –
latentes poussières dorées –
Forêts qui pourraient bien y être
mais qui ne le seront jamais.
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Traduit du roumain par Cindrel Lupe.
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http://wp.me/p1wz5y-hd

 

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Le vieil ermite me chuchote sur le pas de la porte – Lucian Blaga

Jeune qui foules l’herbe de mon ermitage,
il est encor loin le coucher du soleil ?
 
Je veux rendre l’âme
en même temps que les serpents écrasés à l’aube
par les bâtons des bergers.
Ne me suis-je pas tordu comme eux dans la poussière ?
Ne me suis-je inséré comme eux dans le soleil ?
 
Ma vie a été tout ce qu’on veut,
parfois bête,
parfois fleur,
parfois tocsin – qui se disputait avec le ciel.
 
Ce jour je me tais ici, et le vide du tombeau
me résonne dans les oreilles comme une cloche d’argile.
J’attends sur le seuil la fraîcheur de la fin.
Cela durera longtemps ? Viens, jeune homme,
prends de la poussière une poignée
et parsème-là sur ma tête au lieu de l’eau et le vin.
Baptise-moi par la terre.
 
L’ombre du monde me passe au-delà du cœur.
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traduit du roumain par Cindrel Lupe.
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Saint Georges âgé – Lucian Blaga

La lutte était finie. Quand ? Quand est-ce arrivé ? Car il gît
le dragon avec les écailles sur les ronces éparpillées.
Je me rappelle : paisiblement sur mes épaules tombait,
lentement portée, la cendre des volcans étrangers.
 
Je pense à des faits jadis, aux chimères
de l’ère trop torride qui fut brisée.
Par les scories amenées de travers d’autres terres
ce jour mes sourcils en sont encore brûlés.
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe.
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http://wp.me/p1wz5y-b0

 

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Chanson pour l’an 2000 – Lucian Blaga

Le vautour qui virevolte là-haut
sera alors à jamais au repos.
Près de Sibiu, près de Sibiu*/, aux prés
seulement les chênes auraient perduré.
Quelque passant se souviendra de moi
à quelque étranger, se confiera ?
Je n’espère pas quelqu’un qui m’annoncerait,
sinon le conte ainsi commencerait :
Par ici lui aussi marchait et revenait sur les lieux
contemporain des papillons, de Dieu.
(1943)
*
 
 
*/ Sibiu = ville au centre de la Roumanie, fondée au XIIème siècle.
Centre culturel éclairé par les auras de Brukental, la société culturelle ASTRA, Goga, Saguna, Noica, Oberth, Blaga.
Ville culturelle Européenne en 2007.
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe.
Lisez l’original en roumain :

http://wp.me/p1wz5y-aW

 

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